Une mort accidentelle une mort imprevisible? Accidentelle c'est l'evidence, mais imprévisible... Bien sûr on ne va pas prétendre que Claude Francois avait deviné quand et comment il allait mourir! Sinon, il aurait fait ce Qu'il fallait pour éviter la tragédie Il n'en demeure pas moins que, toute sa vie, il a été hanté par la mort, Pas seulement par l'idée qu'il allait mourir un jour, non, mais par la mort elle-même! Qu'on l'appelle la faucheuse ou qu'on lui donne n 'importe quel autre nom, elle n'a pas arrêté, durant toute sa courte vie, de lui adresser des signes terriblement angoissants Des signes qui, dans les semaines précédant le funeste 11 mars 1978,s'etaient multipliés La naissance de Claude sur les bords du Nil plutôt que sur les berges de la Seine n'est pas anodine dans ses croyances et ses craintes, baigné qu'il a été dans une culture orientale bien différente de notre froid rationalisme et croyant plus que nous à tout ce qui a trait à la divination Sa seur Marie-Josée, dite Josette, a révélé plus tard que l'influence du sur- naturel sur son frère lui venait en droite ligne de Chouffa, leur mère : «Depuis sa plus tendre enfance, Claude avait pris l'habitude d'accompagner notre mère chez des voyants qui lisaient l'avenir dans le mare d'un café turc, racontait-elle à France Dimanche en 1995. Je pense que c'est cela qui l'a incité, à l'âge adulte, à renouveler ses visites.» Pour se protéger du diable et de ses maléfices, le futur Cloclo devient alors de plus en plus superstitieux. Il ne quitte
jamais la perle bleue porte-bonheur que
lui a donnée Chouffa. Elle ne suffit pas,
hélas, à calmer ses angoisses. Devenu
célèbre, il continuera de dormir avec une
lumière allumée. «Il lui arrivait même,
nous apprend encore Josette, de demander
à son secrétaire de veiller sur son sommeil.
en passant la nuit dans le salon d'à côté»
Mais le plus violent ébranlement subi
par Claude, ce n'est pas sa mère qui en été la cause. Ecoutons Josette: «Quand
il avait 20 ans, un jour que nous étion
à la plage avec Janet, sa seule et unique
épouse, une bohémienne est venue direc-
tement vers Claude. Elle lui a pris la main
et lui a d'abord prédit beaucoup de succès.
Nous étions ravis, bien súr. Mais aussitôt
après, sur le même ton, elle a ajouté qu'il
allait mourir jeune!»
Cette prophétie, Claude ne l'oubliera
jamais et ne parviendra jamais à la
prendre à la légère. Elle ne fera que renforcer sa propension à l'angoisse, laquelle
ira sans cesse croissant, à mesure que les années passent, sans que la gloire ni la
fortune ne puissent rien contre ce mal qui
le ronge. Et le plus étrange, c'est que, dans
Les mois puis les semaines le séparant de
sa mort, les signes vont se multiplier. Les
cauchemars, tout d'abord. De plus en
plus souvent, Claude, dans son sommeil,
se voit en train de se noyer dans un lac,
cerné par des nuées de vautours aux ailes
immenses qui tournoient autour de lui.
On imagine alors le choc violent qu'a
du recevoir l'artiste lorsqu'il appris par
hasard, et peu de temps avant le fatal
11 mars, que la précédente propriétaire de son appartement du boulevard
Exelmans s'y était suicidée! Et com-
ment s'y était-elle prise? En s'ouvrant
les veines... dans sa baignoire! Dans
cette même baignoire où Claude devait
lui-même vivre ses derniers instants...
À mesure que la date fatidique se rapproche, les angoisses se transforment en pressentiments, quand ce n'est pas en
apparitions! Josette, toujours elle, nous
a raconté l'épisode bouleversant qu'elle
a elle-même vécu, un week-end, au moulin de Dannemois, dans l'Essonne, où
demeurait le chanteur
«C'était deux semaines avant qu'il ne
nous quitte, je ne l'avais jamais vu ainsi.
Après le départ des invités, Claude était
tout seul, près du bar américain, et cela
m'a étonnée. Kathalyn était déjà dans
sa chambre, et d'habitude, il montait en
même temps qu'elle Je me suis approchée
de lui. Et c'est là qu'il m'a dit : "C'est
bien que nous soyons seuls tous les deux
Je voudrais te dire quelque chose, et tu
vas me promettre de ne le répéter à personne. De toute façon, on me prendrait pour un fou et on ne me croirait pas.
J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un
problème d'intendance au moulin. Mais
je l'ai vu si grave que je l'ai écouté avec
beaucoup d'attention...»
Josette retient son souffle, car elle s'attend à voir son frère lui révéler une sorte de
secret. Or elle est encore en dessous de la
vérité, très en dessous: «C'était bien plus
qu'un secret, c'était une énorme frayeur!
Claude m'a avoué que, depuis quelque
temps, le soir, il voyait une femme en blanc
s'asseoir au pied de son lit et le regarder
fixement. "Je suis obige d allumer pour
que son image disparaisse, me dit-il. Je n'en
dors plus, c'est terrible." J'ai suggéré que
cela n'était peut-être qu'un cauchemar "Ah non!Dis-toi bien que je suis tout à fait réveille!", m'a-t-il répondu. Je lui ai alors
Conseiller de mettre une bouteille d'eau
bénite, que j'étais allée remplir à l'église
de chez nous sur sa table de nuit se qu'il a fait .Plus tard,il m'a dit que la femme en blanc avait disparu. D'ailleurs le weekend précédent sa mort, il était très joyeux
Cétait à nouveau le Claude que je connaissais depuis l'enfance.
Les terribles prémonition de sa mère
Lui est peut-être joyeux, comme le
dit Josette, mais c'est au tour de leur
mère d'avoir de terribles prémonitions
10 mars, Chouffa fait un cauchemar
dans lequel elle voit son fils noyer un nou-
veau-né dans sa baignoire du boulevard
Exelmans! Elle tente de le raisonner, de
mais rien à faire: devant
elle, Claude tue le bébé. Et quand, toujours
dans son réve la pauvre femme se retourne,
elle découvre que la pièce est emplie de gens
sans visage et vêtus entièrement de noir
Comme elle a raconté son rève terrifiant à Josette, celle-ci lui téléphone dès qu'elle
sait que Claude est rentré à Paris et qu'il
est bien tranquille chez lui, boulevard
Exelmans Mais elle entend alors sa mère Luis répondre d'une voix grave, presque
lugubre: «ll faut attendre quarante-huit
heures pour que s'eloigne le malheur
donné par Chouffa, Claude se réveille à
son tour. Il a des tas de choses à faire
au cours de cette journée du 11 mars
Et, avant tout, prendre un bain...Les avertissements et les prophéties pouvaient
se réaliser: le moment était venu.
DIDIER BALBEC
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